Arnaud Rousseau répond aux interrogations sur les enjeux de la filière et les débouchés du colza.
Pouvez-vous nous présenter ce qu’est le groupe Avril ?
Avril, c’est avant tout un modèle original et des valeurs qui sont restés les mêmes depuis la création du groupe, créé en 1983 par les agriculteurs français afin de développer les débouchés des productions oléoprotéagineuses de nos campagnes. L’originalité de ce modèle tient à l’organisation en filière du groupe, de la graine jusqu’aux produits élaborés, dans laquelle chaque activité crée de la valeur pour tous les maillons de la chaîne. Ce qui en fait un groupe agro-industriel à part, c’est également son ancrage agricole et territorial fort, et surtout le réinvestissement systématique de ses résultats dans le développement des filières nationales. J’insiste sur ce dernier point car il illustre parfaitement la mission du groupe de créer durablement de la valeur dans les filières des huiles et protéines, et en premier lieu pour les agriculteurs qui se voient ainsi offrir des débouchés pérennes et durables pour leurs productions. Le sens de cette mission est au cœur de toutes les orientations stratégiques du groupe Avril et la FOP en est le garant.
Quelles sont vos pratiques industrielles ?
Le cœur de métier industriel c’est la trituration de la graine de colza ou de tournesol. Les pratiques industrielles sont directement liées aux différentes voies de valorisation des productions agricoles. Le biodiesel de colza en est la parfaite illustration. Cette innovation française a permis de mettre en évidence la haute valeur de la graine oléagineuse, constituée de 56 % de matière riche en protéines et 44% d’huile.
C’est à partir des huiles végétales, par un procédé dit de transestérification, qu’Avril produit depuis plus de 20 ans du biodiesel, biocarburant pour les véhicules diesel, sous la marque Diester®. Ces dernières années, comme il l’a fait dans la valorisation des huiles, Avril a pris le tournant de la valorisation des protéines végétales pour diversifier les débouchés de la filière. Pour y parvenir, le Groupe soutient activement la recherche et l’innovation, et investit dans l’amont agricole au travers de Sofiprotéol, société de financement et de développement.
La presse a évoqué l’usage de l’huile de palme par le Groupe, pouvez-vous nous en dire plus ?
La position de la filière des huiles et protéines végétales sur ce sujet est claire et transparente et j’ai déjà eu moi-même l’occasion de l’exprimer maintes fois notamment lors des AG des FDSEA auxquelles j’ai participé et directement auprès des agriculteurs chaque fois que j’ai été interrogé sur le sujet.
Le biodiesel d’Avril est très majoritairement constitué de colza et dans une moindre mesure de tournesol. Le colza et le tournesol représentent 91,5% de sa production de biodiesel. Moins de 10 % d’huile de palme importée, 8,5% très précisément en 2016, est utilisé afin de valoriser les 91,5% d’huiles de colza et tournesol. Je considère donc que toute comparaison faite avec le projet de Total à la Mède qui va utiliser une très grande majorité d’huile de palme est inexacte. Je précise aussi que ces volumes sont le strict minimum qu’Avril utilise pour rester compétitifs par rapport à ses concurrents. Les écarts de prix entre le colza et le palme varient en effet de 15 à 30% en faveur du palme en raison de ses bas standards de production et la filière colza subit donc une concurrence déloyale avec des écarts de prix insurmontables. Mais il n’y pas d’équivoque sur le sujet : nous sommes pour l’interdiction totale de l’utilisation d’huile de palme dans les biocarburants en Europe. Depuis plusieurs années l’agriculture française mène ce combat en France et au niveau européen. Cela nous permettrait d’avoir une concurrence loyale et de faire vivre dignement notre filière. C’est tout le sens de l’action et du message résolu que la FOP a porté dans le cadre de la mobilisation FNSEA/JA .
Quels sont les débouchés aujourd’hui du colza ? Quelle importance a-t-il auprès des éleveurs ?
Les débouchés sont directement liés à la valorisation concomitante des deux coproduits indissociables de la graine : la protéine par la production de tourteaux non OGM et tracés, et l’huile dont un tiers est actuellement valorisé en alimentation humaine et deux tiers en énergie renouvelable. Cette co-valorisation est un axe essentiel de notre filière qu’il nous faut encore expliquer et faire mieux connaître. Il est évident que réduire la part du biodiesel de colza aura des conséquences directes pour les éleveurs puisque cela conduira à accroître de 30% le volume de tourteaux de soja, majoritairement OGM, importés en Europe pour l’alimentation animale. Comment alors répondre à la demande du consommateur qui veut de plus en plus des filières tracées, sans OGM, comme on l’a souvent entendu dans le cadre des EGA. Il faut de la cohérence entre les discours et les actes. J’insiste sur le fait que les tourteaux de colza et tournesol cultivés dans nos campagnes représentent désormais la source principale de protéines de nos élevages. Tout cela les agriculteurs de la filière et Avril ne le doivent qu’à eux-mêmes. Ils ont réussi à placer la France en tête de l’autonomie en protéines végétales des pays européens : l’autonomie de la France atteint 55 % alors que celle moyenne de l’UE est de 30% seulement.
On a beaucoup parlé de la filière lors de la mobilisation. Quels étaient les enjeux pour elle ?
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire cette mobilisation dépassait largement les enjeux de la filière colza. L’huile de palme a été la goutte d’huile qui a fait déborder le vase et a joué le rôle de chiffon rouge notamment auprès des médias. Le cœur du problème, ce sont les importations distorsives. La vision stratégique du Gouvernement doit être clarifiée : d’un côté, il veut une agriculture qui garantisse une alimentation saine, sûre, durable et accessible. Les agriculteurs sont sur la même ligne. Mais en même temps, il autorise des importations qui n’ont rien de durables créant ainsi une concurrence déloyale. C’est cela qui a été dénoncé dans le cadre de cette mobilisation exemplaire de la FNSEA et des JA. Pour notre filière, nous avons mis en avant l’huile de palme de la raffinerie Total de la Mède qui a été autorisée par le Ministre Hulot, qui vient d’Asie et qui est le premier facteur de la déforestation mondiale. On peut facilement remplacer cette huile et ces déchets d’huile de palme par du colza et du tournesol français. Reste la question de la compétitivité. En tout cas, nous avons rappelé que les agriculteurs français sont prêts à fournir cette matière première.
Quelles ont été les avancées obtenues suite au blocage des raffineries ?
Cette mobilisation a, ainsi que l’ont très justement souligné tant notre Présidente Christiane Lambert que le Président des Jeunes Agriculteurs Jérémy Decerle, permis de remettre l’agriculture en tant qu’activité économique au cœur des débats nationaux et de l’attention du Gouvernement. Pour ce qui concerne la filière colza plus spécifiquement, nous avons pu consolider un certain nombre de positions et obtenir des avancées. En ce qui concerne l’huile de palme, nous avons placé la limitation de ces importations au centre des débats communautaires avec une position du Gouvernement français beaucoup plus conforme à nos attentes dans le cadre de ces débats. Au niveau national, nous avons obtenu des Pouvoirs publics la signature de deux arrêtés permettant l’utilisation du B10 et du B100. Derrière ces deux termes, il s’agit de permettre la mise en place de deux nouveaux biocarburants, un ayant 10% de biocarburant d’origine agricole issu de nos productions et l’autre 100%. Ces deux arrêtés doivent nous permettre de conforter, aux côtés du 7% de biodiesel déjà incorporé et distribué à la pompe, les débouchés de nos graines. Au niveau de nos relations avec les pétroliers en général et le groupe Total en particulier, celui-ci s’est engagé formellement sur une utilisation de 50 000 tonnes de colza dans son usine de La Mède. Par ailleurs, les Pouvoirs publics ont acté la nécessité d’intervenir auprès de Total en notre faveur. Ces signes tangibles nous les devons à la mobilisation des agriculteurs de notre réseau FNSEA/JA et je tiens pour cela à les remercier très directement.
Quelles sont les perspectives d’avenir de la filière ?
La priorité est donnée à la pérennisation d’un débouché biodiesel européen et à la transformation du modèle. En effet, Il est important de faire la distinction entre « diesel » et « gazole ». On peut sortir du gazole sans pour autant remettre l’intérêt de la technologie diesel en cause. Le gazole reste un carburant de référence en France, alors que le pays compte 20 millions de véhicules particuliers, 6 millions de véhicules utilitaires et 600 000 véhicules de type poids-lourds. Pour ces deux dernières catégories, le gazole va rester la référence. A cet effet, la filière porte un projet qui s’inscrit pleinement dans la transition énergétique. Développé dans le cadre de l’autorisation sur le marché français du B100, ce projet pourrait fournir grâce au colza français une énergie nouvelle intégralement substituable au gazole, 100% renouvelable. Elle serait donc 0% huile de palme, 0% déforestation et 0% pétrole. Et puis il y a le défi majeur de la valorisation de la protéine végétale pour lequel de nombreuses actions ont déjà été entreprises. Par exemple, le travail piloté par la FOP et le FASO (fonds d’action stratégique oléagineux) avec les filières animales pour connaitre les besoins en protéines non OGM et bio et déterminer les pistes de valeur liées à ces démarches. C’est aussi le cas avec le développement de produits plus concentrés en protéines et mieux valorisés que le tourteau ou encore les applications des protéines végétales en chimie (Protéochimie) qui font l’objet d’un premier développement en cours à travers notre acteur Evertree. Celui-ci conçoit et développe des alternatives aux intermédiaires chimiques traditionnels. Issus du tourteau de colza, les produits et technologies mis au point par Evertree ouvrent la voie à une nouvelle génération de panneaux de bois composite. Ces développements sont autant de nouvelles voies de valorisation des productions oléoprotéagineuses. Evertree devrait d’ailleurs commercialiser sa première solution, destinée à l’industrie des panneaux de bois, dès 2019.